Bordeaux : des voitures à 6 millions d’euros

La ville de Bordeaux compte 25 zones de stationnement payant en surface.
La ville de Bordeaux compte 25 zones de stationnement payant en surface.
Difficile de trouver une place gratuite dans les rues bordelaises. Depuis 2014, l’extension des zones payantes s’accélère. D’ici à 2020, comme l’a promis Alain Juppé lors de sa dernière campagne pour les municipales, le nombre de places payantes à Bordeaux aura presque doublé par rapport à aujourd’hui.
Décryptez le vrai du faux sur une question quotidienne sensible, qui touche au porte monnaie de la Ville comme à celui de ses habitants.

 

Le maire fixe le prix des tarifs liés au stationnement

VRAI

Depuis 2014, le maire fixe les tarifs des zones de stationnement. Pour le moment il ne décide pas du prix des amendes. Elles sont fixées à 17 euros partout en France. Pourtant, d’ici à 2018 cela va changer, puisque la dépénalisation sera mise en place, selon les termes de la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale. Il ne s’agira plus d’une amende mais d’une redevance que la Mairie fixera elle-même. L’infraction ne passera plus par la police, ce qui désengorgera les tribunaux et les commissariats. Une commission basée à Limoges sera créée pour gérer les infractions dans la nouvelle région. La Mairie recevra alors les recettes des infractions. Aujourd’hui, ce sont la Métropole et l’Etat qui se partagent le gâteau.

Schéma Qui fait quoi

Bordeaux est une ville chère concernant le stationnement

VRAI pour les tarifs à l’heure mais FAUX pour le stationnement résident.

Bordeaux n’est pas plus cher que d’autres villes concernant les abonnements de stationnement des résidents, qui fonctionnent sur le principe d’un macaron tarifé à 15 euros par mois ou 165 euros par an.

Pour les tarifs du stationnement à l’heure, l’adjoint au maire légitime la politique d’Alain Juppé en avançant la nécessité de réduire un maximum le nombre de véhicules dans le « grand centre-ville ». Le tarif est censé dissuader les automobilistes de se garer sur la voirie.

« Ce qu’on veut c’est le moins d’automobilistes dans l’hyper centre-ville. On cherche donc à augmenter le prix pratiqué en stationnement de surface. En contrepartie, on offre dans les parkings payants de proximité un service qui est à la fois de qualité et pas très onéreux, afin de favoriser le transfert des véhicules de l’un vers l’autre. L’idée c’est de faire du centre-ville de Bordeaux un milieu apaisé dans 10 ou 15 ans. Dans les trois derniers kilomètres avant d’aller au centre-ville, l’idée c’est que les automobilistes utilisent leur voiture si ils en ont vraiment besoin. Notre but est de désengorger les rues ».

Les agents de contrôle sont assez nombreux pour contrôler toutes les zones payantes

FAUX

« J’ai demandé 15 agents supplémentaires en 2016, mais c’est compliqué car ça entraînerait plus d’impôts locaux, donc on ne m’en a accordé que trois. A Nantes, ils sont 80 pour contrôler 14 000 places payantes mais ils ont des recettes plus faibles que nous. Ici, les agents de contrôle (agents de surveillance de la voie publique – ASVP, ndlr) 47 pour 18 000 places », souligne Nicolas Andreotti, chef de la Police municipale de Bordeaux.

Les 47 ASVP de la ville sont en charge de contrôler les 25 zones payantes de surface. Cela représente près de 380 places de stationnement par agent.

Les binômes changent de quartier tous les jours. Selon les agents ASVP rencontrés sur le terrain, le nombre d’infractions relevées varie fortement selon la zone. Celle de la gare est la plus verbalisée.

Un ASVP met en moyenne 47 amendes par jour en 2016, c’est quasiment deux fois moins qu’en 2014. « Les agents verbalisent en moyenne un véhicule sur huit », précise Nicolas Andreotti.

Les horodateurs et les amendes sont une véritable manne financière pour la ville

VRAUX

« L’objectif c’est pas de gagner du fric, c’est d’organiser le stationnement, martèle l’élu Jean-Louis David. Bien sûr qu’on en gagne, c’est évident, mais de là à vous dire précisément combien, je ne sais pas ! ».

Selon lui, Bordeaux gagne actuellement de l’argent grâce au stationnement mais on ne peut pas parler de gros bénéfices car la Ville investit chaque année pour l’extension des zones jusqu’aux boulevards.

Nicolas Andreotti confirme : “On ne gagne pas énormément d’argent. On étend les zones et ça coûte des sous. Par exemple, un horodateur coûte à l’achat plus de 5000 euros. Un tarif résident à 15 euros par mois ça ne nous rapporte pas. On perd même des sous ! Les zones près des boulevards sont des zones résidentielles, donc elles ne nous rapportent pas beaucoup de recettes. On commencera à être bénéficiaire peut-être à partir de 2017, quand la zone sera totalement couverte.

Selon l’élu, le stationnement de surface représenterait environ « 4 millions d’euros de dépenses et 6 millions de recettes annuellement » même s’il se dément pouvoir confirmer ces chiffres.

Dans l’opposition, on grince un peu des dents. Matthieu Rouveyre, conseiller municipal PS, regrette le manque de transparence sur les chiffres exacts : « C’est une politique opaque, la préoccupation n’est pas d’organiser le stationnement mais de faire plus de recettes. C’est le poste de ressources qui augmente le plus, et sur lequel la Ville a le plus la main. C’est assez simple, il suffit de prendre un arrêté municipal pour rendre une zone payante. »

Le budget primitif de la Ville pour l’année 2016 prévoit des recettes de 6,7 millions d’euros.

Matthieu Rouveyre questionne la manière dont est réinvestie cet argent : « Ça ne peut pas être que la politique du bâton. Il faut proposer d’autres solutions. On ne voit pas beaucoup de parkings sous-terrains se construire« .

D’ici 2017, le stationnement payant sera étendu jusqu’aux grands boulevards de Bordeaux

VRAI

Depuis son arrivée à la mairie, Alain Juppé mène sa politique de stationnement d’une main ferme. Conformément à ses promesses de campagne, et contre vents-et-marées, il étend le stationnement payant jusqu’aux boulevards de la ville, souhaitant encourager le développement du réseau de tramway et proposer des alternatives à la voiture en centre-ville : prêt longue durée de vélos et Bluecub (système d’autopartage).
L’idée est de quadriller ce qui est considéré comme le centre-ville étendu, pour arriver à un total de 30 000 places payantes en 2018.

La Mairie délivre plus de macarons que de places disponibles

VRAI

La Ville a choisi de ne distribuer qu’un seul macaron (abonnement résident) par foyer. Malgré cela, le nombre de macarons délivré est supérieur au nombre total  de places de stationnement de surfaces à Bordeaux. Le constat peut paraître fou. Pourtant, jusqu’à un taux de 120 % de macarons distribués par rapport au nombre de places total, la politique de stationnement reste cohérente :  tous les véhicules ne stationnent jamais au même moment.

Aujourd’hui, on est à 113% de taux d’occupation potentiel. Lorsqu’une ville dépasse les 120/125 % de taux d’occupation tout est saturé, le dispositif s’effondre. On n’a plus qu’une centaine de macarons à accorder, ajoute Nicolas Andreotti. On est sur la corde raide« . Un argument de poids qui appuie la volonté de la Police municipale de ne pas donner un deuxième macaron par foyer.

6 infos stationnement

« Cette ville c’est l’horreur pour les automobilistes”, Brian étudiant.

Près de la place Saint-Michel, située en zone B, l'heure coûte 1,80.
En zone B, l’heure coûte 1,80 euros.

Dans la ville du canelé, le macaron a fini par s’imposer. Impopulaire au départ, la politique d’Alain Juppé convainc désormais les résidents, avec un tarif avantageux à 15 euros par mois. Pourtant certaines voix se font toujours entendre.

C’est de l’escroquerie. C’est inadmissible, on doit déjà payer des impôts, des taxes, etc. Ce n’est pas normal pour les résidents d’un quartier, locataires ou proprios, de payer plus pour se garer”. François, résident rue de l’Abattoir ne décolère pas. Le macaron donne droit à une place mais celle-ci n’est pas garantie. Il faut parfois tourner plus d’une dizaine de minutes avant de trouver à se garer.

Brian, un étudiant qui vit tout près du Jardin public, se plaint également : “Je paye le stationnement que je n’ai jamais parce que c’est toujours pris par des gens qui ne paient rien. C’est la merde ! Cette ville c’est l’horreur pour les automobilistes”. Certains quartiers sont plus sensibles que d’autres, notamment puisqu’ils drainent le plus de va-et-vient de véhicules.

Les avis sont plus nuancés dans les quartiers résidentiels. Aux abords de la rue Fondaudège, les riverains ne critiquent pas la mesure, mais ils la trouvent difficilement applicable pour les familles ou les professionnels.

Mettre toutes les voitures dehors ce n’est pas très pratique avec la vie quotidienne. J’ai une place en parking et aussi un macaron. Je pense que quand tu as une famille, tu mérites deux macarons”. Elizabeth, vit avec ses enfants rue Albert de Mun, à quelques pas de Fondaudège. Elle regrette que, le garagiste de sa rue, Eric, doive mettre la clé sous la porte faute de pouvoir stationner les véhicules de ses clients devant son commerce.

Les professionnels mis en difficulté

« Un de mes anciens salariés est parti à cause de ça. Il s’est pris des P.V., et moi je ne peux pas les payer à chaque fois », Eric, garagiste.

 

Eric raconte les raisons qui l’ont poussé à prendre prématurément sa retraite. “La Mairie fait tout pour éliminer les voitures en ville. Du moment que vous essayez d’éliminer des voitures, moi, ça me fait potentiellement moins de clients. C’est 120 à 130 euros par mois pour une place de parking en moyenne. Un de mes anciens salariés est parti à cause de ça. Il s’est pris des P.V., et moi je ne peux pas les payer à chaque fois. Au moins un petit aménagement pour les pros ça serait bien”.

Son père a commencé l’activité en 1966 et il a pris la relève. Depuis que la zone est devenue payante en septembre, la clientèle déserte la rue Alfred de Mun. Le garage a été vendu et sera transformé en appartements. Eric quitte les lieux à la fin de l’été.

Les élus sont conscients des problèmes que peuvent rencontrer ces professionnels. Certaines mesures sont à l’étude, confirme l’adjoint au maire Jean-Louis David : « Les garagistes font partis de la catégorie des professions pour lesquelles il faut absolument trouver des solutions. Discuter avec eux de leur survie. Actuellement, ils utilisent le domaine public à des fins commerciales, gratuitement. Aucune activité économique ne devrait pouvoir occuper le domaine public sans redevance ou contrepartie financière. C’est un sujet qui dépasse le cadre du stationnement. Garagistes, carrosserie, là il y a un vrai sujet. Je le comprends vraiment. Je viens d’emboutir ma voiture dimanche et la question s’est posée de savoir où est ce que j’allais la faire réparer« , explique-t-il.

Certains riverains sont, eux, emballés par le concept. “C’est une bonne chose, c’est bon pour la santé et pour l’environnement. Je suis content d’être passé au vélo. Dans le centre je me déplace à pied ou à vélo. La voiture c’est juste pour les week-end ou les loisirs”. Marc, vit rue Fondaudège et travaille au Bouscat. Il s’y rend en vélo (15 min de trajet) et laisse sa voiture là-bas car c’est gratuit.

Arrivé il y a trois ans à Bordeaux, il n’a pas fait de demande de macaron mais envisage d’utiliser le Bluecub, le système d’autopartage en libre service de la ville, voire de vendre son véhicule.


Stationnement payant à Bordeaux, l'enquête

     Cécile Bonté-Baratciart                                   Gérémy Charrier                                        Audrey Dumain                                    Maïder Gérard