Aquitaine : Tourisme et Handicap font-ils bon ménage ?

Aquitaine : Tourisme et Handicap font-ils bon ménage ?
Crédit photo : Jean-Louis Zimmerman/Flickr
12 millions d’exclus. 12 millions de Français se sentaient mis à l’écart à cause de leur handicap en 2015. 12 millions de Français qui aimeraient bien, eux aussi, aller au restaurant, partir en vacances, visiter des musées, mais ne peuvent pas. À cause d’un fauteuil roulant qui ne passe pas l’encadrement d’une porte, d’un personnel qui n’est pas sensibilisé aux contraintes de la surdité. C’est dans cette volonté d’ouvrir le monde touristique à un public plus large qu’a été créée en 2001 la marque « Tourisme & Handicap », garantie pour les personnes handicapées de rencontrer un personnel habilité à les accueillir. Pourtant, le logo bleu peine à convaincre et à gagner en popularité. Exemple en Aquitaine

En terme de tourisme, l’Aquitaine a encore des progrès à faire. Cinquième région la plus prisée des vacanciers en 2014, elle se place derrière l’Ile-de-France, l’Auvergne-Rhône-Alpes, et les régions PACA et Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées. Pourtant, elle se hisse en tête du classement des régions comptant le plus d’établissements ayant obtenu la marque « Tourisme et Handicap ».

Avec 1 289 marques à son actif sur les 5 500 attribuées à l’échelle nationale, elle ne peut cependant s’enorgueillir seule de ce succès, qu’elle doit clairement à son union avec les régions Poitou-Charentes et Limousin.

Pour autant, peut-on en conclure que l’Aquitaine est la reine de l’accessibilité ? Si la région compte le plus de marques « Tourisme et Handicap », celle-ci reste peu connue du public handicapé et peu demandée par les commerçants.

« Tourisme et Handicap », mode d’emploi

Suivons un commerçant dans sa procédure de demande de la marque.

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Peu de candidats, beaucoup d’élus. Sur 173 dossiers reçus en 2015, un seul aura été refusé. Pourtant, les conditions d’attribution de la marque sont complexes.

Une marque exigeante

Avoir la marque « Tourisme & Handicap » est donc un plus pour les établissements désireux de visibilité. Néanmoins, cette marque, d’après les dires de leurs créateurs, a un haut niveau d’exigence. “On va plus loin que la loi” dit d’ailleurs Joël Solari, l’adjoint au maire de Bordeaux en charge du handicap. La preuve est donnée en consultant les cahiers des charges de la marque. Il en existe plusieurs dans les différents secteurs :

  • Activités nautiques
  • Bien-Être
  • Centres Équestres
  • Gestionnaire de sites touristiques
  • Hébergement
  • Itinéraires de promenade
  • Restauration
  • Postes de pêche

Dans ces cahiers des charges, beaucoup de critères sont répertoriés dans différents domaines. Il s’agit en fait de critères extrêmement précis : pour la restauration, par exemple, le cahier des charges indique qu’il faut que les menus soient écrits en grands caractères (Arial, taille 16). Le restaurant doit proposer des places accessibles, avec un “espace libre d’au moins 0,70 m sous les tables pour permettre à une personne en fauteuil roulant de s’attabler sans difficulté”. Les responsables de la marque tiennent donc à être plus en avance sur la loi, quitte à provoquer le découragement de certains acteurs. Depuis trois ans, il est nécessaire pour obtenir la marque d’être accessible à deux types de handicap, au lieu d’un auparavant. Résultat : plusieurs établissements se sont résignés à ne pas demander la marque, et se mettront aux normes uniquement dans les règles imposées par la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.

Un exemple flagrant est celui de l’Ile-de-France. Très peu d’établissements sont labellisés “Tourisme et Handicap”, alors que la région est l’une des plus touristiques de France. La DIRECCTE Ile-de-France (Direction Régionale des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l’Emploi) explique ce faible niveau par un autre problème : celui des évaluateurs. L’évaluation de ces nombreux critères nécessite la constitution d’une commission « Tourisme et Handicap ». Or, selon la DIRECCTE, la faible présence d’évaluateurs a eu raison de la commission « Tourisme et Handicap », supprimée en 2013.

Surtout, ces évaluateurs ont besoin de vérifier chaque critère dans chaque lieu public. Pour la labellisation de Disneyland Paris, par exemple, il a fallu presque cinq jours pour vérifier chaque parcelle du parc d’attraction, ce qui est bien différent de la procédure pour un restaurant, qui peut prendre environ deux heures. Trouver des évaluateurs au sein d’associations, à titre gracieux, reste compliqué sur tout le territoire : la marque nous indique également quelques problèmes à Bordeaux pour trouver des personnes disponibles pour évaluer les demandes.

Un engagement financier certain pour peu de retour sur investissement

C’est une démarche volontaire”. Joël Solari, co-fondateur de l’association Tourisme et Handicaps et adjoint au maire de Bordeaux, insiste sur ce point. C’est à l’établissement d’entreprendre les démarches pour obtenir la marque. Une volonté qui a parfois besoin d’être suscitée, révélée. Joël Solari effectue ce travail de “sensibilisation” auprès des établissements touristiques bordelais. C’est le cas du restaurant « L’Entrecôte » où l’adjoint a rencontré Nicole Jokiel, la directrice. Elle effectuait des travaux et avait donc l’obligation de se mettre aux normes. C’est là que Joël Solari lui a soufflé l’idée de demander la marque « Tourisme et Handicap ».

Cette mise aux normes est-elle un investissement supportable ou un gouffre financier ? Tout dépend de l’établissement et de son secteur d’activité. Si vous prenez le bateau Aquitania par exemple, l’entreprise Croisières Burdigala a rendu les quais accessibles pour près de 4 000 €, “un budget relatif” selon une responsable. Une décision plus gourmande financièrement pour la salle de concert “Le Bootleg”. Cyril Béros, un des responsables de l’établissement, a dû engager 240 000 € pour répondre aux normes de la marque « Tourisme et Handicap ». “C’est un budget énorme, monstrueux mais cette démarche est dans la lignée de notre engagement social, en tant qu’association”, confie-t-il. Pour les établissements privés, cet investissement qui se fait le plus souvent à partir de fonds propres, peut donc parfois être un frein. La région peut mettre la main au portefeuille mais encore faut-il en faire la demande. A Bordeaux, les établissements touristiques ne sont vraiment pas les plus quémandeurs. C’est le cas au sein de l’ancienne région Aquitaine en général. Chaque année, le Conseil régional distribue 100 000 € d’aides pour l’accessibilité, pour l’ensemble de son territoire.

Un devoir”, “une démarche indispensable pour les publics empêchés”, “une égalité des services”… Propriétaires et directeurs, de lieux publics comme privés, déclarent que les motivations principales à obtenir cette marque sont d’ordre social et moral. Mais est-ce qu’elle rapporte des visiteurs (et donc des euros) en plus des bons sentiments ? Depuis l’obtention de la marque « Tourisme et Handicap » en 2013, le Musée d’Aquitaine n’a pas vu son public handicapé augmenter significativement. “Sur nos 150 000 visiteurs annuels, le nombre de personnes handicapées est minime ; la marque n’y a pas changé grand chose”, explique Carole Brandely, chargée de communication du musée.

Un contre-exemple cependant. Au Cajou Caffé à Bordeaux, la marque bleue est fièrement affichée à côté de la porte. L’établissement, avec son texte en braille, sa rampe d’accès et sa carte format A3, est estampillé « Tourisme et Handicap ». S’il a décidé de rendre accessible ses locaux, c’est pour une raison particulière. « D’abord, car il y a entre 15 et 20 % d’handicapés en France, et que c’est une clientèle pour nous », souligne-t-il. Mais le patron du Cajou Caffé connaît également Joël Solari, adjoint au maire de Bordeaux qui l’a aussi sensibilisé. Lors de travaux d’agrandissement, il a donc décidé de rentrer dans les clous des critères « Tourisme et Handicap ».

Le groupe de Serge Gouthon, dont font partie le « Pub Saint Aubin » et le « Bodegon » place de la Victoire, va effectuer prochainement des travaux dans ses établissements pour les mettre aux normes. Et ainsi obtenir la marque.

Une sensibilisation nécessaire, difficile à réaliser

La marque « Tourisme et Handicap » est plus précise que la loi de février 2005. Les critères sont précis et nombreux. Le cahier des charges spécifique “hébergement” compte 79 critères, 87 % concernent le matériel et seulement 13 %, l’aspect humain. Sensibiliser et former le personnel ne sont donc pas au cœur du processus. Ils sont pourtant le point faible de la marque. “Dans certains restaurants ou à certains guichets, il y a des boucles magnétiques pour les personnes malentendantes. Mais elles ne sont pas en position T, c’est-à-dire qu’elles ne sont pas activées. Il faut donc, à chaque fois, demander au personnel de les activer, quand il sait le faire évidemment”, regrette Odile Colcombet, présidente de l’association Audition et Écoute 33. Ce travail reste une limite de la marque car elle est aussi la plus lente et la plus compliquée à mettre en place.

Répartition handicapsPar ailleurs, la marque est également attribuée, pour le handicap auditif par exemple, à un établissement dont le personnel est formé à la langue des signes, au même titre qu’un autre qui possède une boucle magnétique, pas toujours activée. La qualité d’accueil n’est pourtant pas exactement la même. Une inégalité de traitement qui reflète le point noir de la marque : les établissements ne sont pas mis aux normes pour tous les types de handicaps. Ainsi, sourds et aveugles ne sont pas logés à la même enseigne.

Difficile, donc, de mesurer l’efficacité de « Tourisme et Handicap ». Mais la marque peut se targuer de faire un pas vers une meilleure visibilité de cette question de société qui manque encore cruellement de considération. Peu d’établissements franchissent encore le pas pour en demander l’attribution. Le manque de retour sur investissement, de nouveaux visiteurs par rapport aux efforts consentis, n’aide sûrement pas à populariser la marque qui aimerait s’imposer comme la référence en matière d’accessibilité.

Mickaël Chailloux, Aurore Richard et Jeanne Travers

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