L’idée ? Sur l’iceberg de dettes identifié en février par le capitaine Rousset, à la barre du navire neuf Région ALPC, prélever une carotte de glace, l’opération « 10 000 toitures », pour pouvoir l’analyser. Tout en sachant que naviguer dans ces eaux là n’est pas sans risque de se voir intimider.
Ce fut le cas d’emblée : après avoir contacté les services de la Région, à Poitiers (sans espoir réel de retour), mon appel est transféré au service de presse bordelais. « On ne répond déjà pas aux journalistes, alors vous… » Un coup de téléphone de ce même service à la responsable du module « data » et un mail au directeur de l’IJBA plus tard, je comprends que je n’ai rien à attendre du côté de la Région.
Or il me faut des données. Certaines seraient sur le site de l’ex Poitou-Charentes. Et il y en a beaucoup. Il faut d’abord décrypter le jargon administratif des délibérations et décisions, faire le tri entre les différents fonds (FRIL, FREE, FEDER, CLE, etc.), identifier la commission numéro 4, qui s’occupe des économies d’énergie et, enfin, prélever ce qui correspond uniquement à l’opération « 10000 toitures ». Car c’est bien un laboratoire : éprouvettes liées à l’éolien, au photovoltaïque, aux véhicules électrique, à la rénovation…
La conception que j’ai du data me fait perdre du temps : je transforme les listings de dossiers de PDF en Excel, mais les opérations lancées (graphiques et courbes) n’ont aucun sens puisque ce qui compte, ce sont les questions que l’on pose. Et les données que j’ai dans mes listings ne peuvent pas y répondre.
Question : combien d’entreprises ont bénéficié de la subvention ? A-t-elle vraiment aidé les entrepreneurs dans la crise qu’ils traversent ? La Capeb, syndicat du bâtiment, est dans un premier temps d’accord pour me donner les résultats de son enquête auprès de 300 adhérents.
Puis c’est un refus du responsable. Je passe donc le week-end sur le site rénovation-info-service.gouv.fr, pour entreprise après entreprise, récupérer les 1000 et quelque mails afin de mener l’enquête moi même.
Le lundi matin, je reçois un mail d’une entreprise me transférant un courriel de la Région. Elle le leur a envoyé en décembre 2014. Son intérêt ? il a en copie les destinataires de l’opération 10000 toitures… Ils ne sont que 36. Je conserve néanmoins ma liste de mail pour un éventuel article (ultérieur).
La Fédération Française du bâtiment (l’autre syndicat) me transmet des données que l’Ademe (l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) ne voulait pas me communiquer. L’intérêt ? Le nombre de mails que j’ai répertorié pour les entreprises ne pouvait constituer une source fiable pour mes statistiques.
Question : comment faire parler les chiffres récoltés ? Le nombre de dossiers acceptés et les impayés : dans la presse, par Alain Rousset lui même (de fait, les rares personnes contactées à la Région sur leur ligne directe disent s’informer au travers des médias sur le sujet…) Le budget : sur les délibérations. Mais il reste à comprendre le processus, la dynamique, pour éviter de verser dans les hypothèses de politique politicienne.
Il faut appeler les élus : ceux qui s’expriment dans la presse, mais qui sont intimidés et se rétractent. Ceux de l’opposition, dont certains ont voté les budgets qu’ils dénoncent haut et fort. Puis ceux qui étaient aux affaires, à l’époque. L’un donne le portable de l’autre qui lui-même transmet un 060606…. Et au final, les chiffres laissent place à un projet qui s’humanise, dans toute sa complexité.
Quelques contacts au sein de la forteresse Région deviennent même possible. Même si le devoir de réserve du fonctionnaire reste une carapace en béton. Reste la satisfaction d’avoir contourné la fin de non recevoir du tout début.
Les entrepreneurs ne sont pas plus enclins à parler chiffre que les hommes politiques ou les fonctionnaires. Certains répondent au formulaire, d’autres préfèrent ne pas communiquer sur des « informations commerciales ». Mais si la reconstitution de la répartition de la subvention reste partielle, sa dynamique est révélée. Et les rivalités que l’on observe au sein de l’ancien et du nouvel exécutif existent aussi entre les entrepreneurs…
Au final, il faut conter une histoire. En étant à la croisée de points de vues différents, dont chacun détient sa part de vérité, aussi sa part de subjectivité. C’est là tout le problème : car les data, au service de l’objectivité, restent malgré tout à interpréter. Et l’interprétation va bon train, depuis les révélations d’Alain Rousset.
Les deux articles publiés sur le site datajournalismelab.fr ne sont qu’une partie du dossier créé sur plusieurs semaines. D’autres restent à écrire sur ce sujet en particulier mais aussi sur celui des économies d’énergie (voir le cashinvestigation sur les quotas de CO2), autrement dit un immense marché, celui de demain.