En 2014, en Gironde, un tiers des morts sur la route impliquent un deux roues motorisé. Un chiffre alarmant, d’autant plus que c’est le sixième département le plus meurtrier de France pour cette catégorie de véhicules, devant Paris.
Alors, imprudence ? Jeunesse ? Retour de soirée ? Les réponses sont plus complexes…
61 personnes sont décédées sur les routes de Gironde en 2014. Parmi elles, 21 conduisaient un deux roues motorisé.
Rouler à l’air libre, gagner du temps aux heures de pointe, la moto a ses avantages et compte beaucoup d’adeptes. Pourtant ce type de véhicules représente 34,43% des victimes d’accidents mortels du département, un chiffre d’ailleurs bien au-dessus de la moyenne nationale qui s’élève à 24%. La Gironde est surtout le sixième département de France qui compte le plus de morts en deux roues, devant Paris et le département du Rhône, dont les axes sont pourtant très empruntés.
34,43% des victimes d’accidents mortels du département sont des deux roues motorisés, contre 24% au niveau national.
Pour Philippe Houi, professeur d’auto-moto école à Gujan-Mestras, ces chiffres s’expliqueraient par le comportement des conducteurs de deux roues motorisés : « Certains motards ne respectent pas les règles principales de vitesse. Ils prennent des risques et ne font pas attention aux autres. »
La vitesse en cause, mais pas que !
« Plus de 90% des accidents sont liés à des facteurs humains », affirme un bénévole de l’AMSRA (Association Maison de la Sécurité Routière). Souvent, les autorités compétentes pointent du doigt le comportement des deux roues motorisés, et surtout leur goût pour la vitesse, comme principal facteur d’accidents. « D’après les lois de la physique, dès qu’il y a du mortel, il y a de la vitesse », explique Pascal Dunikowski, chargé de mission deux-roues motorisés au niveau national.
En France, la vitesse (c’est-à-dire le non-respect des limitations et la non maîtrise du véhicule) fait partie des causes d’accidents mortels pour les deux roues motorisés dans 32% des cas, d’après les chiffres de la Sécurité Routière. Dans notre département, elle serait la cause principale des accidents de deux roues motorisés. Le préfet de Gironde a répondu en 2013 par un plan d’actions : préventions dans les écoles, contrôles accentués, etc. Contactés, ses services n’ont pas souhaité communiquer les chiffres relatifs aux causes des accidents mortels en Gironde.
Rodrigue Valverde, un motard de 45 ans, connaît les dangers liés à une vitesse excessive. Son frère a perdu la vie dans un accident de moto en Espagne, en 1992 : « Il a pris des risques, il a perdu », souligne-t-il modestement. Mais pour lui, affirmer que les deux roues motorisés roulent systématiquement trop vite est une erreur. Il plaide d’ailleurs pour une conduite responsable : « 80% d’entre nous veulent devenir de vieux motards, les autres sont toxiques. La vitesse est toxique, il faut la bannir ».
Deux roues motorisés : fous du guidon ?
Un même accident peut avoir plusieurs causes, que la responsabilité vienne du motard lui-même ou d’un autre véhicule : le comportement des automobilistes, l’attention, l’alcoolémie, comptent parmi les facteurs récurrents. Le bénévole de l’AMSRA, relève aussi « des matériels de protection inadaptés et le danger des angles morts ».
Dans la plupart des accidents de deux roues, mortels ou non, un autre véhicule est impliqué. Quatorze des personnes décédées en Gironde en 2014, soit deux tiers, sont ainsi entrées en collision avec une voiture. Trois autres deux roues seulement, c’est-à-dire un mort sur six, ont adopté un comportement dangereux (contresens, circulation sur la voie réservée aux bus,…).
« On dit que les motards se tuent, mais il faudrait se demander si ce ne sont pas plutôt les voitures qui tuent les motards ! », peste Ludovic Mourlan, motard de 47 ans. Les deux roues sont en effet particulièrement vulnérables et le moindre choc peut avoir des conséquences tragiques. D’autant plus que les automobilistes ne sont pas particulièrement formés et sensibilisés à la cohabitation avec eux. « Ca m’arrive de démarrer à un feu rouge, à moto, et d’avoir à côté une voiture qui essaye de faire la course avec moi », regrette Rodrigue Valverde.
Si les conducteurs de deux roues motorisés ne sont pas nécessairement à l’origine de l’accident, ils en sont davantage victimes du fait de leurs particularités : les motos cumulent le double problème de mal freiner -elles mettraient 3m de plus à s’arrêter qu’une voiture à 50km/h- et d’accélérer plus vite que les autres véhicules. Ils sont aussi plus fragiles : « Il n’y a pas de carrosserie ; en cas de choc, les motards sont mal protégés », explique le bénévole de l’AMSRA.
Si la vitesse des deux roues motorisés est responsable de certains accidents, l’analyse du comportement de ces usagers montre que l’on est bien loin de l’image des fous du guidon.
18 des 21 personnes décédées en Gironde en 2014 portaient un casque au moment de leur accident. En terme d’équipements de sécurité, on ne peut donc pas affirmer que les deux roues motorisés prennent des risques inconsidérés.
Reste à savoir si le casque suffit pour assurer la sécurité des usagers. « Beaucoup de personnes deviennent tétraplégiques après un accident. Il existe des gilets airbag qui permettraient de protéger cette partie du corps, mais ils sont très chers. On pourrait penser à un système qui les rendrait obligatoires, avec un geste de l’assurance qui ferait baisser les cotisations aux personnes équipées de ce gilet », propose Philippe Courtois, avocat spécialisé dans la défense et l’indemnisation des victimes d’accidents corporels, à Bordeaux.
Cette vulnérabilité des deux roues motorisés, l’avocat Philippe Courtois veut la combattre par une meilleure formation des jeunes conducteurs, toutes catégories confondues. « On insiste pour que le futur conducteur aille une journée dans un centre de rééducation mais ça n’a jamais été appliqué car on ne sait pas si c’est l’auto-école ou l’Etat qui doit payer. On voudrait aussi que ceux qui prennent une peine de sursis après avoir causé un accident se rendent dans ces centres pour aider des victimes. Cela aurait une valeur pédagogique ».
Pascal Dunikowski rappelle à ce titre que « les motards tuent aussi des gens, ils sont vulnérables mais aussi dangereux», principalement pour les piétons ou les cyclistes.
Moto, boulot, bobo
Balade en moto, pendant l’été ou le week-end voire en rentrant de soirée… On pourrait penser que les accidents des deux roues motorisés dépendent de facteurs comme les conditions météorologiques, les jours de la semaine ou encore la saison. Mais les chiffres en Gironde prouvent le contraire.
Sur les 21 accidents mortels qui ont eu lieu en 2014, 9 se sont produits entre 17h et 21h en semaine, soit près de la moitié. La même tendance s’observe pour les accidents aux conséquences moins lourdes. Une plage horaire qui correspondrait davantage à un trajet de retour de travail, quand la circulation est dense, même si toutes les données concernant les trajets n’ont pas été renseignées. Les beaux jours ne sont pas non plus les plus dangereux, c’est en septembre et en octobre qu’il y a le plus d’accidents.
Si dans l’imaginaire collectif, les virées en moto se font sur les grandes départementales, là encore, en Gironde, les chiffres sont plus nuancés. Autant d’accidents mortels en deux roues motorisés ont eu lieu hors agglomération qu’à l’intérieur, contrairement à la moyenne nationale où les accidents hors agglomération sont les plus nombreux.
Dans le département, les accidents ont surtout lieux à Bordeaux, mais aussi sur le bassin d’Arcachon où 7 motards ont perdu la vie en 2014 et non pas en été, à une période où le bassin est prisé par les touristes. Deux ont eu lieu à Gujan-Mestras, ville bien connue pour ses nombreuses priorités à droite selon Philippe Courtois.
Pour Ludovic Mourlan, les accidents s’expliquent surtout par l’état des routes : « On voit que le budget a baissé pour l’entretien des routes, elles sont en mauvais état. Il y a beaucoup trop d’obstacles comme les terres-plein-centraux et, derrière les glissières de sécurité, il n’y a rien pour nous rattraper».
Flaques de gasoil, gravillons : autant d’obstacles auxquels les conducteurs de deux roues ne sont pas assez préparés selon Philippe Courtois. L’avocat spécialisé dans la défense des victimes d’accidents corporels explique que la plupart du temps, les accidents sont dus au fait que les personnes n’ont pas l’habitude de conduire ce type de véhicules. Pour lui, les quatre heures de pratique en conditions réelles lors de l’examen d’obtention du permis ne suffisent pas pour prétendre être motard. Pour réduire la mortalité des deux roues motorisés, la première étape pourrait consister à revoir la formation.
Manon Bricard, Noémie Gaschy, Jorina Poirot