L’Open Data est-il de gauche ou de droite ?

Le mouvement Open Data aurait-il une couleur politique ? La libération des données est un symbole d’avancée technologique, une réflexion philosophique, un sujet polémique concernant les conséquences économiques… Mais l’ouverture d’informations publiques n’est jamais pensée sous un angle politique. La transparence et l’honnêteté de l’Open Data : est-ce une priorité politique pour la gauche ou des valeurs véhiculées plutôt par la droite ? Voilà une question qui mérite d’être posée, à l’heure où le projet de loi numérique d’Axelle Lemaire est débattu au Parlement.

 

Avec son site portail de données ouvertes lancé en 2011, la France s’est lancée dans le mouvement Open Data, encourageant ainsi le partage des informations détenues par la puissance publique. Cette initiative a permis au pays de rattraper son retard dans l’ouverture des données au grand public. Au total, la plateforme gouvernementale recense 18529 jeux de données. 727 organisations – institutionnelles, entrepreneuriales et associatives – ont utilisé l’outil étatique pour délivrer leurs informations.

Avril 2014, les progrès de la France en matière de libération de données lui permettent d’intégrer « Le Partenariat pour un gouvernement ouvert ». Cette initiative internationale lancée par huit pays fondateurs (Brésil, Indonésie, Mexique, Norvège, Philippines, Afrique du Sud, Royaume-Uni et États-Unis) a pour but de promouvoir la transparence politique et la lutte contre la corruption. En octobre 2016, la France prendra la tête de ce partenariat pour une durée d’un an. Une présidence résultant de la bonne dynamique du nouvel bon élève français.

Les pays participants au " Partenariat pour un gouvernement ouvert ". En tout, 69 états sont membres.
Les pays participant au  » Partenariat pour un gouvernement ouvert « . En tout, 69 états sont membres.

Globalement, on assiste dans le pays à une prise de conscience en matière d’Open Data. Plus de transparence politique et de participation civique par la technologie, voilà ce que prétend être le mouvement de libération des données. Il a d’abord connu son heure de gloire dans les pays anglo-saxons, comme l’Angleterre ou les Etats-Unis. “Désormais, la France s’intéresse elle aussi à l’innovation et au numérique” explique Pascal Romain, responsable à la Ressourcerie, le propre site du conseil général de la Gironde dédié à l’Open Data. « On a même parfois parlé du « nouvel or noir » des données ».

L’Open Data, une tendance de gauche ?

La libération des données institutionnelles et publiques a été, en France, lancée par l’initiative de la droite. C’est François Fillon, alors Premier ministre, qui lance le site internet https://www.data.gouv.fr/fr/. Une idée soumise par l’un de ses proches conseillers. Mais depuis l’arrivée de la gauche au pouvoir, Jean-Marc Ayrault puis Manuel Valls jouent eux aussi le jeu de l’OpenData. Le portail gouvernemental est conservé. Pour Pascal Romain, cette continuité est “la preuve que la démarche d’ouverture des données transcende les clivages politiques”.

Les sites Open Data Soft, Open Data France et Data Gouv ont permis d’établir la liste des collectivités lancées dans la démarche Open Data. Et dans les faits, notre enquête montre que la majorité des collectivités locales – c’est-à-dire les villes, les conseils régionaux, départementaux et les regroupements de communes – lancées dans le processus d’ouverture des données sont à gauche de l’échiquier politique (64 contre 38 à droite et 11 pour le centre, 4 sont sans étiquettes).

Pour Jean-Marie Bourgogne, chef de projet de la démarche Montpellier Territoire Numérique, la première explication de cette tendance de gauche concerne le calendrier politique français. Au commencement de la démarche d’Open Data en France, en 2011, les différentes collectivités étaient majoritairement de gauche. Proportionnellement, il est donc logique qu’il y ait eu d’avantage de mairies, de conseillers généraux et autres administrations de gauche à se lancer dans l’aventure. Cependant, au fur et à mesure des élections, les communes ont changé de couleurs. Et les collectivités basculées à droite n’ont pas arrêté la démarche d’Open Data.

La deuxième explication de Jean-Marie Bourgogne n’est plus politique mais idéologique. “Les collectivités de gauche sont plus ouvertes à la transparence”. Le goût serait d’avantage à l’économie sociale et solidaire, la transparence et la collaboration. Tandis que “la droite française est plus dans une culture de protection des données.” Néanmoins, le spécialiste de l’Open Data estime que chaque parti trouve un avantage à diffuser ses données. “Peu leur importe la couleur politique, les collectivités savent évoluer en fonction de l’air du temps, plaire à leurs clients en quelque sorte.

La démarche Open Data, une affaire politisée ?

Dans cette course des libérations de données, la droite et la gauche sont tous deux en lice. Impossible d’offrir la possibilité à l’adversaire d’incarner le symbole de transparence du principe démocratique.

Lorsque le gouvernement Fillon lance le portail de libération de données, la gauche réplique. Un mois plus tard, Martine Aubry, alors première secrétaire du PS, annonce l’ouverture de http://data.parti-socialiste.fr/. Le site internet des socialistes n’est plus mis à jour depuis 2012. Mais pour la gauche, c’était une manière de ne pas se laisser distancer par l’UMP de l’époque. Aujourd’hui, c’est I’inversion des rôles. Le 6 avril dernier, les sénateurs – majorité de droite – examinent le texte porté par Axelle Lemaire, secrétaire d’Etat en charge du Numérique. Leur but, limiter la portée des mesures du projet Open Data par le vote de plusieurs amendements. “L’Open Data oui, l’Open bar, non”, justifie alors Christophe-André Frassa, membre des Républicains et rapporteur au nom de la commission des lois sur le projet de loi Numérique. Non, la droite ne veut pas laisser la gauche s’emparer, seule, du sujet Open Data et veut montrer qu’elle aussi tient à participer à cette loi.

L’Open Data en France, c’est une nouvelle arme dans le jeu de la conquête du pouvoir. Mais est-ce vraiment une idéologie politique portée par un groupe politique ? Actuellement, aucun parti français n’a intégré l’Open Data dans sa charte ou son programme politique officiel. Aucune sanction n’existe à l’encontre des élus ne jouant pas le jeu. La raison : le clivage des points de vue au sein même de chaque formation politique au sujet de l’Open Data. “Lors des débats sur le projet de la loi Lemaire, des amendements pro et anti open data ont pu être poussés aussi bien par la droite que par la gauche. Un socialiste libéral peut être contre l’Open Data pensant que cela défavoriserait les entreprises, par exemple”, explique Sabine Blanc, journaliste à la Gazette des Communes. En matière d’Open Data, le point de vue personnel est roi. La libération des données, un sujet pas encore assez important pour le transformer en thématique officielle de campagne.

Qui de l’interne ou de l’élu ? 

D’apparence, les élus des collectivités engagées dans le mouvement de libération des données, aiment montrer leur attachement à la transparence politique. Mais les élus sont-ils réellement les instigateurs de la démarche ? Pour Jean-Marie Bourgogne, rien n’est moins sur. “Le plus souvent, l’initiative vient des opérationnels, des personnes qui travaillent dans les collectivités. L’informaticien par exemple… Ce sont eux qui proposent l’idée aux politiques”. D’après lui, peu importe l’étiquette, avec l’open data chaque parti peut y trouver son intérêt.

Néanmoins, si des gens peuvent travailler sur ces questions de numérique, c’est bien parce qu’un budget est spécialement dédié à la thématique”. Pour le moment, les Verts sont les seuls à s’être vraiment lancés dans l’aventure. A Grenoble, un poste de premier adjoint aux données publiques a spécialement été créé pour traiter ces questions.

Sur les 118 entités françaises ayant fait le choix de l’Open Data, 52 sont produites par des mairies. Un chiffre trompeur puisque proportionnellement, sur les 22 régions d’avant la réforme (on en compte désormais 13), 17 ont choisi de libérer leurs données, soit plus de 80%. Les conseils régionaux sont donc les premiers diffuseurs d’information. Le rôle des entités y est pour quelque chose? Sûrement puisque par rapport aux communes, les régions ont moins de compétences et par conséquent, moins de données à gérer. On peut donc penser que les communes vont probablement mettre plus de temps à libérer leurs données.

L’Open Data, pour qui, pour quoi?

Au final, si la France compte désormais parmi les états les plus en pointe en matière d’Open Data, les données libérées restent encore trop souvent anecdotiques et largement incomplètes pour leurs diffuseurs et peu intéressantes pour d’éventuels récepteurs. Sincèrement, qui s’intéresse aux données libérées par sa ville ou sa région? Si l’on en croit les statistiques du site Data.gouv, peu de monde… A Paris par exemple, aujourd’hui ils sont seulement 35 à s’intéresser à la question.

Qu’on se le dise, le mouvement d’ouverture des données est une bonne chose, un moyen pour tout citoyen d’en savoir plus sur les instances qui le dirigent. Oui, mais à condition que nos élus croient aussi réellement à ses vertus. Pour le moment, l’Open Data semble être uniquement un outil de communication politique. Gauche comme droite utilisent la bonne image et les valeurs démocratiques que le mouvement revendique à des fins électorales. Personne n’en fait un véritable principe à imposer lors d’une campagne politique.

Camille Humbert, Salomé Parent et Anaïs Moran.

Lire le making-of de cette enquête