Juppé, candidat des jeunes : réalité ou coup de com ?

Alain Juppé est présenté par les médias comme « le candidat des jeunes » à l’aube de l’élection présidentielle de 2017. Cet engouement présumé pour l’ancien ministre de Jacques Chirac se vérifie t-il avec les chiffres ? Ou n’est-ce qu’une stratégie de communication du candidat à la primaire ?
Alain Juppé, 70 ans, le "candidat de la jeunesse ?" ©Medef
Alain Juppé, 70 ans, le « candidat de la jeunesse ? » ©Medef

« Ces jeunes qui ne jurent que par Juppé », « Alain Juppé sera-t-il l’idole des jeunes »… La popularité du maire de Bordeaux auprès des 18-25 ans alimente les titres de presse depuis plusieurs mois. Alain Juppé, 70 ans, serait le héros d’électeurs encore bambins lorsque la rue réclamait son départ de Matignon en 1995. Cocasse alors qu’une majorité de « jeunes » réclame un renouvellement de la classe politique.

Dans quelques jours, le comité de soutien Les Jeunes avec Juppé fêtera sa première année d’existence. Ce mouvement a été lancé en grande pompe pour soutenir le maire de Bordeaux à la primaire de la droite de 2016. Il participe à l’image rajeunie que souhaite se donner le doyen de cette compétition. Plus de 200 comités régionaux existent à travers le territoire. Présents sur les réseaux sociaux et toujours prêts à monter au créneau pour défendre leur candidat, les membres ne tarissent pas d’éloge sur celui qui représente pour eux le candidat idéal. Louis de Larroche, le référent Aquitaine du mouvement, explique cette mobilisation en faveur du doyen de la primaire.

Cependant, un récent sondage vient de ternir cette image soigneusement entretenue d’un Alain Juppé entouré de jeunes imberbes, jouant au beer-pong  dans un pub parisien. Il apparaît que parmi les 18-35 ans, c’est l’ennemi numéro 1 du maire de Bordeaux, Nicolas Sarkozy, qui est en tête des intentions de vote de la primaire. Alain Juppé, lui, séduit davantage les plus de 35 ans. Chez les 65 ans et plus, cela relève carrément du plébiscite.

Selon Jean Petaux, professeur de sciences politiques à Sciences Po Bordeaux, ces sondages prouvent que « la tactique de Sarkozy, qui est de ringardiser Juppé, fonctionne dans l’opinion ». A l’instar d’un Chirac version 1995 qui se présentait comme le candidat de la rupture, Nicolas Sarkozy « veut balladuriser Alain Juppé en le faisant passer pour un notable un peu plan-plan », estime l’expert. « Les jeunes gens de droite prêts à voter pour la primaire semblent en partie mordre à l’hameçon ». Un autre sondage montre ainsi la cote de popularité comparée des deux hommes, auprès de l’ensemble des Français. Si Alain Juppé est préféré à l’ancien chef de l’Etat dans toutes les catégories d’âge, les 18-25 ans sont ceux qui lui accordent le moins leurs faveurs, et de loin.

« Il y a un effet de compensation dans cette campagne médiatique d’Alain Juppé », commente Jean Petaux. « Il sait qu’il est le plus âgé et ne souhaite surtout pas paraître comme un has-been ». Au-delà de la pure communication politique, il parle concrètement à la jeunesse puisqu’une grande partie de son programme y est consacrée.

Mes chemins pour l’école, son premier livre de campagne paru à l’été 2015, montre un réel souci d’apporter des réponses en matière d’éducation. Récemment, il a lancé sur sa plateforme Alain Juppé 2017 un « appel à la jeunesse », à qui il adresse ce message :  « affirmez des idées, sortez des sentiers battus ». Cet appel comporte une dimension participative puisqu’il est demandé à chaque visiteur de répondre à une série de questions, ou plutôt d’apporter ses propres propositions en matière de réforme des institutions, de lutte contre le chômage des jeunes, ou encore d’enseignement et de formation professionnelle. Rencontré dans les jardins de l’IUT de Bordeaux, le septuagénaire ne manque pas de lyrisme à l’égard de la jeune génération :

Le maire de Bordeaux imite finalement une stratégie électorale bien connue, proche de celle utilisée par François Hollande en 2012. A l’époque, le candidat du Parti Socialiste avait fait de la jeunesse l’une de ses priorités. Seulement, Hollande était le représentant d’un parti de gauche, qui a traditionnellement les faveurs des 18-25 ans. Cette stratégie relevait donc d’une mobilisation de son électorat cible. Ce qui est nettement moins le cas chez Juppé.

Son électeur-type, davantage un retraité qu’un étudiant

Tout en sachant les difficultés de comparaison entre des élections locales et des élections nationales, il est possible de tirer des enseignements des résultats de l’élection municipale à Bordeaux en 2014. Il apparaît que le pourcentage de 18-25 ans selon les bureaux de vote influait assez peu sur le score d’Alain Juppé. Il avait même plutôt tendance à faire un score moins élevé à mesure que la part de jeunes augmentait.

A l’inverse, ses meilleurs scores étaient obtenus dans des bureaux de votes où la part de plus de 65 ans était très nettement supérieure à la moyenne bordelaise.

La tactique de Juppé serait donc d’aller chercher un électorat nouveau plutôt que de se concentrer sur un qui lui semble déjà acquis. Mais est-ce pertinent quand on sait qu’un tiers du corps électoral qui se rend réellement aux urnes a plus de 60 ans ? Aux élections municipales de 2014, moins d’un jeune sur deux a voté aux premier tour, alors qu’ils étaient plus de 76% à l’avoir fait chez les seniors. Les analyses sur la communes de Bordeaux confirment ces chiffres nationaux. On observe en effet une chute de l’abstention significative dans les bureaux de vote où la part des plus de 65 ans est élevée.


Dans le cas des primaires de la droite et du centre, les observateurs s’attendent à voir cet écart générationnel s’accentuer. Cité par L’Opinion, Jérôme Jaffré du Cevipof affirme même que 50% des participants annoncés à cette primaire sont des retraités. Faire campagne auprès des seniors semble donc plus payant électoralement que s’adresser en priorité à la jeunesse.

« Il est probable qu’il n’attende aucune retombée purement électorale de cette stratégie », croit savoir Jean Petaux. S’afficher comme le candidat des jeunes sans prétendre emporter leur adhésion dans les urnes ? « En réalité, c’est davantage un effet d’image qui est recherché. Il veut s’associer au dynamisme de la jeunesse, parce que c’est symbolique. Après, si ça peut lui faire gagner des voix, autant joindre l’utile à l’agréable comme on dit ».

C’est qu’Alain Juppé, dans sa quête du pouvoir, ne devra négliger aucune voix. S’il passe l’épreuve des primaires, il partira, si l’on en croit les sondages, comme le deuxième candidat préféré des 18-25 ans. Derrière Marine Le Pen.

Article réalisé par Laura Michelotti, Camille Mordelet et Gaétan Trillat.

Lire le making-of de cette enquête 

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