Gironde : le foncier comme arme verte

La Gironde a été classée département le plus vert de France en 2015 par le journal La Vie. Son point fort ? Le critère de consommation responsable, élevé dans le département grâce au réseau d’AMAP. Cependant, si on s’intéresse à la protection des espaces naturels, la Gironde descend à la 34e place. Pas si verte donc ? La réponse est à chercher dans la politique des ENS (Espaces Naturels Sensibles), l’outil foncier du conseil départemental pour la protection de l’environnement. La classification existe depuis 1985, mais beaucoup de questions n’ont pas été réglées autour de son statut. La Gironde est considérée comme un bon élève, mais beaucoup reste à faire.

 

Le département de la Gironde abrite un des écosystèmes les plus riches de France entre le littoral, l’estuaire, le cordon dunaire, les forêts, lagunes et milieux humides. Il est considéré comme un sanctuaire pour des espèces menacées comme le vison d’Europe, la cistude d’Europe, l’esturgeon européen, ou l’angélique des estuaires. Mais avec l’érosion du littoral, l’urbanisation et l’artificialisation des sols, une partie de cette richesse naturelle est menacée.

Le département prend en charge, dans la mesure du possible, la préservation de ces espaces naturels par une politique foncière. Un outil majeur à sa disposition : les Espaces Naturels Sensibles (ENS).

Une gestion multiple

Seul le département peut acter la délimitation d’un Espace Naturel Sensible, avec l’accord du Conseil Municipal de la commune concernée. Il peut alors le posséder en propre et le gérer via des marchés d’entretiens auprès de prestataires privés. Il peut aussi en déléguer la gestion à des structures associatives, des collectivités locales ou des organismes publics. Enfin, le département peut aider d’autres collectivités territoriales (comme les municipalités) à en faire l’acquisition directement. On distingue alors les ENS départementaux et les ENS locaux.

En Gironde, la gestion et l’aide à l’acquisition de terrain se partage entre certaines municipalités, des structures associatives et des organismes publics comme l’Office National des Forêts et le Conservatoire du Littoral.

C’est une première limite de la politique des ENS. Par exemple, sur les 2 150 hectares de la Réserve Naturelle Nationale d’Hourtin, 1 778 hectares appartiennent à l’Etat, 200 hectares appartiennent à la commune d’Hourtin et 168 appartiennent au Conseil départemental au titre des ENS. Ainsi, l’ENS apparaît comme une goutte d’eau qui ne fait que morceler la gestion foncière de la réserve<;

De plus, le réseau de partenariat avec les associations n’est pas encore très développé. Il se limite à la participation du Conservatoire Régional des Espaces Naturels d’Aquitaine (CRENA), de la fédération départementale des chasseurs, du CPIE Médoc et des associations gestionnaires des réserves naturelles nationales comme la Société pour l’Etude et l’Aménagement de la Nature dans le Sud-Ouest (SEPANSO).

Carte des espaces naturels sensibles de Gironde.
Carte des espaces naturels sensibles de Gironde.

Comment se fait le choix des ENS ?

Le Conseil départemental possède certains critères qui vont de l’intérêt écologique à l’attractivité touristique (présence de sentiers de randonnée par exemple). Le Conseil départemental attribue alors une note aux parcelles, qui témoigne de leur intérêt.

Pour cela, le Conseil départemental s’appuie sur différentes bases de données qui servent d’inventaire telles que (entre autres) “Faune Aquitaine”, gérée par la Ligue de Protection des Oiseaux, « Biodiversité végétale » gérée par le Conservatoire Botanique National Sud-Atlantique ou encore “SERENA”, la base de donnée des réserves naturelles.

C’est une autre limite notable de politique environnementale accordée aux départements. Le Conseil Départemental se base sur des données plurielles, sans véritable centralisation de l’information. La diversité des organismes entraîne une certaine confusion dans l’inventaire de l’écosystème girondin. Le but du département aujourd’hui, c’est de faire le lien et de faciliter les partenariats entre ces différentes bases de données.

L’héritage des zones à risque

Tout commence dans les années soixante. Des “périmètres sensibles” sont délimités dans vingt communes du littoral de Gironde. Le but de l’appellation ? Protéger les espaces littoraux fragiles, à l’écosystème riche. Il faut attendre 1984 pour que ces périmètres sensibles soient étendus à l’ensemble des terres du département, devenant ainsi des “Espaces Naturels Sensibles” (ENS). L’année suivante, la loi du 18 juillet 1985, stipule que chaque département a la possibilité de « mettre en œuvre une politique de protection, de gestion et d’ouverture au public des Espaces Naturels Sensibles boisés ou non… afin de préserver la qualité des sites, des paysages, et des milieux naturels ».

De nouveaux outils sont mis en place : la Taxe Départementale des Espaces Naturels Sensibles (TDENS), ainsi que le droit de préemption.

 

Le premier bras de la politique environnementale du département, c’est donc la Taxe Départementale des Espaces Naturels Sensibles (TDENS). Elle est définie dans le Code de l’urbanisme. Elle permet le financement intégral de la politique environnementale départementale. En Gironde, la TDENS s’élève à 1 %. C’est une taxe qui fait partie intégrante de la Taxe d’Aménagement (TA) et qui s’applique sur tous les projets de construction.Ainsi, la fiscalité de l’urbanisme, qui lutte contre l’étalement urbain et ses effets, permet de créer des zones naturelles protégées.

Le volet financier de la politique environnementale du département repose donc sur un système de compensation. Pour Philippe Barbedienne, président de la Sepanso, “cette taxe est paradoxale : on finance la protection d’espace naturels grâce à une taxe sur les permis de construire…”

Cependant, cette politique de compensation porte ses fruits. Sur l’année 2008 par exemple, la TDENS perçue s’élevait à environ 7 millions d’euros. La totalité du montant n’étant pas utilisé chaque année, le solde vient s’ajouter à l’année suivante. En 2009, le montant s’élevait alors à 8,4 millions d’euros.

La veille foncière pour protéger l’environnement

Si certains départements profitent des contours flous de la loi afin de privatiser les ENS pour les revendre ensuite, ce n’est pas le cas de la Gironde. Il faut préciser que les ENS girondins sont, encore aujourd’hui, en majeure partie héritières des “périmètres de sécurités” situés sur le littoral. Des terrains inondables ou marécageux, impropres à la construction. Pas de revente en Gironde donc, où le conseil départemental préfère jouer la carte de la conservation des paysages et des écosystèmes.

Sur le littoral comme dans les terres, les Zones de Préemptions des Espaces Naturels Sensibles, ZPENS, permettent au département de garder un oeil sur les opérations foncières dans ces espaces riches en biodiversité. Ces zones bénéficient chacune d’une note de priorité, sur la base des critères de vulnérabilité, de diversité écologique, de possibilité d’ouverture au public, etc. 94 ZPENS ont été votées par le Conseil général(16929 hectares), avec l’accord des communes concernées. A l’image du droit de préemption urbain, cet outil juridique permet au département, ou à la collectivité territoriale à qui ce droit a été délégué, d’être prioritaire sur l’achat. « Les préemptions, c’est moins de 20% des achats. Toutes les acquisitions ne se font pas par la préemption. Souvent des propriétaires nous approchent par eux même car ils nous proposent leur parcelle ». C’est donc avant tout un outil de surveillance du foncier.

Il existe aussi la possibilité, dans les cas extrêmes de faire usage du droit d’expropriation. Il a déjà été évoqué de l’utiliser pour l’acquisition d’une parcelle en Gironde, mais la procédure n’a jamais été menée à terme. « Il y a eu une tentative il y a longtemps, mais on était pas allés jusqu’au bout. S’il le faut, on a la loi avec nous. Mais il faut s’assurer qu’on a toutes les cartes en main avant de lancer une telle procédure, ça peut aussi se retourner contre nous », prévient Magali Cresté.

Sans aller jusqu’à l’expropriation, la préemption peut aussi générer des tensions. Le département est « une grande machine ». Qu’il puisse s’interposer dans un achat et passer devant un acheteur peut être mal vécu par le propriétaire, surtout dans des zones reculées où les terrains peuvent circuler au sein d’un groupe restreint de personnes. Un gros travail de communication est mis en place par le département pour expliquer sa démarche. Parmi les objectifs définis par la feuille de route sur les ENS, il y a en priorité le renforcement des partenariats avec les autres acteurs institutionnels et avec les acteurs locaux, dans une démarche collaborative. Le principe est simple : inclure les personnes concernées le plus tôt possible avant l’achat pour leur permettre de s’approprier au mieux l’ENS.

« L’idée c’est de créer des groupes fonciers où du coup on rassemblerai l’ensemble des acteurs du foncier avec les usagers quand c’est nécessaire pour discuter des orientations qui sont prises sur chaque ZPENS. C’est quelque chose que nous sommes en train de mettre place »,  soutient Magali Cresté.

Ces espaces ont vocation à être accessible au public, sauf exception justifiée pour des raison écologique (milieu trop sensible). Animer ces espaces, pour les classes pédagogiques et les familles est un élément important de la valorisation des espaces. « On se rend compte que quand c’est fait localement, il y a une meilleure appropriation et ça permet de d’inscrire l’espace dans une pérennité plus grande, de protéger de l’urbanisation et aussi d’y appliquer des règles de gestion cohérentes » reprend-elle.

Le statut juridique des ENS, tel que présenté dans le code de l’urbanisme (chapitre II – Article L142-1 à L142-13) comprend une zone de de flou, bien que cette politique existe depuis plus de 30 ans : ces terrains appartiennent-ils au domaine public ou privé des collectivités territoriales ? Chaque département a sa jurisprudence sur la question. En Gironde, les ENS sont inscrits dans le domaine privé. Il est ainsi possible de les revendre. Il faut pour cela procéder à un déclassement. « On s’est posé la question pour certains ENS qui sont des héritages de longue date mais qui n’ont pas forcément d’intérêt sur le plan écologique. Ça été notamment le cas du grand Crohot, à Lège Cap Ferret. Mais la commune n’a pas souhaité qu’il soit vendu ».

Si la question n’a toujours pas été tranchée, des associations ont déjà porté plainte au tribunal administratif pour contester une procédure de déclassement. C’est notamment le cas d’Alsace Nature, qui s’est opposé au déclassement d’une ENS réalisé pour la construction d’un hôtel dédié à la vinothérapie. « Le code général de la propriété des personnes publiques précise que les les biens qui relèvent du domaine public sont inaliénables et imprescriptible. Mais c’est un principe général de droit qui peut être facilement contourné. En tant qu’association pour la préservation des espaces naturels, on demande à ce qu’ils soient sacralisés », développe le service juridique d’Alsace Nature. Certains départements, comme l’Aude ou encore l’Essonne, considèrent que l’affectation d’un site naturel en ENS est définitive. Si chaque département a sa propre lecture juridique, les services environnement commencent à échanger et à se concerter sur la question. Quoi qu’il en soit, les ENS ne sont pas les seuls outils de préservation, ni les plus contraignants.

Vincent Chevais, Clarisse Martin, Elliot Raimbeau et Patxi Vrignon-Etxezaharreta

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